Festival

Musique Sacrée à Perpignan, un festival d’équilibre

Du 24 au 31 mars 2018

Perpignan
Divers lieux culturels de Perpignan

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Elisabeth Dooms dirige le festival Musique Sacrée de Perpignan. Elle le nourrit d’une finesse réflexive, d’une opiniâtreté sans faille. D’une passion raisonnée. Et c’est un succès !

Quels sont les critères essentiels ou les ingrédients indispensables pour créer un festival réussi ?
Un festival réussi, c’est un festival qui équilibre toutes les contraintes : celles du territoire - j’entends le public - politiques, sociales, budgétaires et évidemment artistiques. Avec un contenu que le public peut articuler, ressentir et comprendre. Il faut réfléchir, trouver un équilibre et surtout ne pas faire ce qui est déjà proposé. Un festival, c’est donc une histoire avec des femmes, des hommes, des artistes, des publics, des objectifs et une prise de risques. C’est aussi une voie, qui doit être claire dès le début pour pouvoir amener tout le monde avec soi.

Le festival de musique sacrée de Perpignan répond-il à votre idée d’un festival accompli, un peu, beaucoup, passionnément ?
Je ne suis pas objective, mais je dirais qu’il a été réussi « beaucoup », car il a réuni toutes les contraintes, il a respecté le cahier des charges et il s’est développé en termes de public. Il a trouvé sa place. Il est certes le fruit d’une tradition, mais il existe aujourd’hui en répondant à une demande d’aujourd’hui. Pour moi il est « beaucoup » réussi, pour le « passionnément » il y a encore du travail. Quand on fait le bilan chaque année, je m’appuie sur des retours de la société civile, et je m’aperçois qu’il peut s’améliorer, mais qu’il est en dynamique.

Comment composez-vous la programmation ? Appliquez-vous une technique particulière ? Avez-vous une botte secrète ?
Programmer, c’est magique ! Il faut revenir au thème de musique sacrée car cela a été toute une histoire. La programmation devait répondre à une action publique puisque c’est une collectivité qui produit le festival entièrement. Le mot « sacré » doit être élargi jusqu’au « spirituel » avec un maximum d’ouverture. Après il convient de trouver un équilibre, on parle toujours d’équilibre. La programmation doit offrir de la musique baroque, classique, du monde, de la musique contemporaine. On propose des concerts, des manifestations et on sent qu’il faut intercaler entre chaque proposition des programmes ou quelque chose qui engagent de l’imaginaire et de l’ouverture. La botte secrète, c’est d’aller écouter beaucoup d’artistes, d’aller voir ailleurs, de voyager, de faire confiance aux artistes, d’aimer les artistes. Il faut être exigeant, à l’écoute et avoir la volonté farouche de partager au plus haut niveau pour que les choses soient ressenties par le public.

Donnez-nous trois temps forts du prochain festival…
Il est toujours difficile d’extraire des moments forts d’une programmation qu’on a construite pendant plusieurs mois, mais je fais l’effort de vous répondre en citant la venue de Dominique Vellard à la tête de l’ensemble Gilles Binchois pour deux concerts avec une composition personnelle en création ; bien sûr Les Arts Florissants avec Paul Agnew qui sera reçu pour la troisième fois, cette année avec des Motets de Bach qu’il dirige pour la première fois. C’est vraiment pour moi le chœur d’élite et j’ai envie que le public perpignanais découvre cette beauté. Le troisième temps fort est la venue de l’ensemble Aedes et de Mathieu Romano, un des plus beaux chœurs que je connaisse actuellement, dans le Requiem de Fauré. Voilà pour les temps forts artistiques que j’ai toujours du mal à extraire de la programmation et que je qualifierais de « moteurs ».

Vous êtes très attachée à l’action culturelle à l’intérieur du festival comme un ancrage essentiel de la manifestation, pourquoi ?
Je répète que c’est un festival un peu unique car produit, géré, financé par la ville de Perpignan. Un festival de musique sacrée pour une ville, c’est quand même une réflexion à mener et avec l’action publique, objet du festival, on se situe dans l’accessibilité, l’équité, l’égalité du public, et ce ne sont pas de vains mots. En fait l’action culturelle constitue le centre du festival. Beaucoup de festivals recherchent des partenaires économiques, et j’aimerais bien aussi faire rentrer le monde de l’entreprise dans le festival, mais au départ, comme nous sommes une ville et une collectivité territoriale, l’objet c’est le public et son accès aux concerts. Faire venir du monde, sans des moyens énormes, c’est mon obsession. La démocratisation de la musique classique. J’ai fait un mémoire sur « La Folle Journée » de Nantes et on voit bien que le public est vieillissant, donc comment fait-on pour accueillir des personnes nouvelles dans les salles de concert ? Par quels moyens ? Comment fait-on partager la musique ? Nous sommes ainsi partis sur plusieurs axes : l’élargissement des concerts gratuits et puis tout un travail avec les scolaires, les publics handicapés. Je reste très modeste car il y a à Perpignan d’autres structures qui pratiquent cette politique et la ville est particulièrement active de ce point de vue. Au bout de deux ans, nous nous sommes rendus compte que nous avions renouvelé le public d’un tiers par les concerts gratuits mais aussi par les groupes qui arrivent par les éducateurs, les enseignants, toutes les personnes qui peuvent penser que le « sacré » ne les concerne pas. Nous pratiquons également une politique tarifaire non dissuasive. Donc il y a toute une conjonction. C’est vrai que mes souvenirs les meilleurs ont à voir avec l’action culturelle. C’est un peu notre raison d’exister !

Le thème du festival 2018 est « la création ». Comment définiriez-vous la création et pensez-vous comme Gilles Deleuze que « résister, c’est créer » ?
Je n’ai pas abordé le thème de la création de cette façon car cela doit être un thème général, un peu universel et relié à la musique. Il y a deux planètes : la création artistique et puis il y a la création comme origine du monde avec les mythes, les histoires sacrées, les thèmes fondateurs, etc. Et là on creuse plus profondément des questionnements que tout le monde partage. J’ai abordé le thème sur ces deux niveaux et je les relie. L’intérêt est de lier cette spiritualité et ces questionnements à la création artistique. On remarque que les créations s’appuient sur des textes anciens et que la création artistique ne repose pas ex nihilo. Est-ce que la création est une sorte de résistance ? Elle est une résistance si elle ne peut pas s’exprimer. Aujourd’hui, dans notre pays, on peut exprimer toutes sortes de création. Mais la résistance, c’est aussi l’avenir. Que proposons-nous comme avenir ? Qu’avons nous à dire sur l’avenir en tant qu’artiste ? Les artistes peuvent être des mediums et nous amener vers des univers qui grâce à leurs œuvres nous sont plus perceptibles. Pour moi, c’est cela création avec sa part d’imaginaire et d’humain éternel.
Propos recueillis par André Lacambra

Publié par Rédaction de Ramdam


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