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Déclaration d’impro

Mercredi 25 mai 2022

Saint-Gaudens
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Dans un essai paru en décembre, Ibrahim Maalouf convoque sa grand-mère Odette, Jean-Sébastien Bach et Wynton Marsalis pour échafauder un projet de société fondé sur l’improvisation. Remède à tous les maux, prélude à toutes les joies, elle est l’alpha et l’omega de son rapport au monde. Sans doute le guidera-t-elle encore fin mai pour les représentations de son spectacle-bilan Quelques mélodies…, à Béziers et à Jazz en Comminges.

Votre livre Petite philosophie de l’improvisation s’achève sur ces mots : « Improviser, c’est apprendre à vivre ». Vous reste-t-il des choses à apprendre ?
Évidemment. On apprend à exister toute sa vie. C’est pour cela que l’improvisation est utile à tous les âges. Elle apprend à vivre en communauté et à gérer les rapports humains. Elle développe l’empathie et la compréhension émotionnelle du monde. Elle apprend aussi à vivre seul. C’est précieux parce que la vie est faite aussi de moments de solitude qui peuvent être angoissants pour qui n’est pas habitué à se retrouver face à lui-même. Apprendre à improviser permet de dompter cette angoisse et de mettre la solitude à profit pour se ressourcer, se questionner sur sa place, son positionnement vis à vis du monde et de l’Autre.

Les autres ne sont donc pas l’enfer qu’on dit ?
Pour que nos vies aient un sens, elles doivent être envisagées en équipe, en famille, en fraternité, en sororité. Il n’y a pas de vie sociale sans compréhension du collectif. J’aime cette phrase qui dit que seul on va plus vite, mais qu’à plusieurs on va plus loin. J’y crois beaucoup. Il n’est pas envisageable de s’épanouir sans passer par l’épanouissement collectif. Personne ne peut être heureux seul.

Une preuve ?
Je pose cette question à tous les enfants avec qui je travaille : « Si tu es heureux, et en bonne santé. Si tu as tout l’argent du monde, que tu peux faire tout ce que tu veux, mais que tu vis dans un pays où tous les gens autour de toi sont tristes, malheureux et pauvres, serais-tu capable de t’épanouir et d’être vraiment heureux ? » Tous, bien évidemment répondent que non. C’est plus qu’une évidence.

Dans la foulée de votre Petite philosophie de l’improvisation, vous avez créé le Free Spirit Ensemble, un orchestre classique pensé pour l’improvisation. Vous dites par ailleurs souhaiter faire de l’improvisation un « véritable projet de société ». Pourquoi vous semble-t-elle à ce point adaptée à notre temps ?
Je ne connais rien qui soit plus qu’elle capable de construire et de fédérer tout en apportant de véritables réponses aux questions existentielles que tout un chacun se pose à chaque étape de sa vie.

Il faut donc oublier les codes, les règles ?
Apprendre les codes est une phase éminemment importante. C’est le cas dans la compréhension d’un langage, par exemple. C’est la raison pour laquelle le bébé, puis l’enfant, pendant son apprentissage, doit absolument entendre, voir, sentir, chercher dans une direction précise définie par ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il éprouve. Mais ce même bébé doit tâtonner, chercher, plonger dans son imaginaire pour donner un sens à tous ces codes. L’enseignement des codes peut créer des monstres. Si à aucun moment on n’explique à celui qui les apprend qu’il a le droit de les transformer, de les casser, de chercher, de se tromper, puis de recommencer inlassablement pour apprendre à les comprendre, à les reconstruire, alors il ne connaîtra jamais la véritable valeur de ces codes et de son héritage. Le piège, c’est donc qu’il finisse par aller chercher dans le passé, parfois archaïque, des réponses complètement anachroniques à ses questions.

Que cache ce piège ?
Ce décalage, au niveau sociétal, génère des guerres, des traumatismes et le chaos. Il pousse celui qui se sent isolé, incompris, ou incapable de comprendre, à s’enfoncer dans son incompréhension, à s’exclure, et à se marginaliser. Il faut donc apprendre aux enfants à s’approprier les codes. Mon espoir pour l’avenir réside dans l’enseignement et la recherche. Les enseignants et les chercheurs sont à mon sens notre dernier espoir d’amélioration de nos sociétés. Lorsqu’on apprend à l’école, comme au conservatoire, on nous explique ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’on doit faire ou savoir faire, ce qui est utile et ce qui ne l’est pas. À aucun moment on ne nous enseigne ce qu’on est capable de faire.

Vous donnez la prime aux autodidactes, en somme ?
Les meilleurs musiciens avec qui j’ai eu la chance de jouer sont les autodidactes. Et pourtant j’ai croisé la route d’artistes extraordinaires dans le monde de la musique classique ou dans celui du jazz. Ceux qui m’ont le plus touché et impressionné sont les musiciens gitans, les rockeurs, les rappeurs. Il n’empêche que certains ont ensuite étudié la musique. Mais leur apprentissage autodidacte les a amenés à devenir ce qu’ils sont. De véritables virtuoses créateurs.

Propos recueillis par Sébastien Vaissière

Photo : Denis ROUVRE

Publié par Rédaction de Ramdam


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