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La Bibliothèque idéale de Magyd Cherfi

Du 29 octobre 2020 au 1er janvier 2021


Occitanie

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Magyd Cherfi puise dans la lecture ce qu’il nous donne quand il écrit : une part de lui, les morceaux épars d’une histoire qu’on ne lui a pas racontée quand il était môme. Enfant de la cité mais aussi d’ailleurs, « Le Madge » a toujours aimé lire, et cette passion traitresse lui a valu des baffes. Du béton il a pris le meilleur, puis il a pris la route en parolier de Zebda. Le gamin des Izards a aujourd’hui 58 ans, et n’a plus peur de « parler en vieux con » : il assume sa passion du XIXe siècle littéraire, des Zola, Maupassant et Hugo, et brandit l’écriture comme une arme, une vengeance contre la misère. Mais derrière l’assurance du presque goncourisé, chaque terme est encore pesé soigneusement, pour trouver le mot juste et raconter « en français correct » l’amour maternel étouffant, la violence d’une société injuste, et la quête d’une identité bancale. Quatre ans après Ma part de Gaulois, il publie La Part du Sarrasin, récit sincère d’une jeunesse amoureuse et colère. Sans surprise, son panthéon alterne grands classiques et claques littéraires du XXIe siècle ; quoiqu’il en soit, des morceaux de choix.

L’Attentat, Yasmina Khadra
Ce livre a nourri une réflexion sur pourquoi on fait un choix obscurantiste, plutôt que celui de la modernité, des valeurs républicaines. Pourquoi la République est battue par la proposition religieuse ? Parce qu’elle ne tient pas ses promesses d’égalité, de fraternité et de liberté. Ce n’est qu’un vœu pieux qui fonctionne tant qu’on reste entre blancs, mais dès qu’on est noir ou arabe, c’est comme si on n’était pas soluble en son sein. La République a peur de son propre projet d’universalité.

Cent ans de solitude, Gabriel García Márquez
L’épique, l’évasion ! Il y a évidemment une qualité d’écriture, mais surtout cette capacité de nous transporter vers un ailleurs mythologique. Moi, j’ai eu besoin de me construire, d’échafauder un patrimoine. Parce que nos parents algériens, analphabètes, paumés, ne savaient pas d’où ils venaient. Alors j’ai cherché dans la littérature du désir, un sens à la vie. Gabriel García Márquez propose une espèce de patrimoine universel dans lequel n’importe qui peut se dire : c’est mon histoire. Il a une façon d’intégrer tout le genre humain dans l’histoire qui ouvre des perspectives.

La Promesse de l’aube, Romain Gary
Ma mère a voulu absolument être l’épicentre de l’existence de tous ses mômes. Un phare, et un dieu suprême. Dans La Promesse de l’aube, Romain Gary raconte comment il ne peut se défaire de sa mère. Toute sa vie il est pris dans cette condamnation à s’élever au-dessus. Elle lui citait tout le temps les grands hommes de l’histoire : tu seras César, Hugo. La mienne n’avait pas ces références. Elle disait : tu seras une étoile. J’aime cette façon pour nous les hommes d’être incapables de nous détacher de l’amour maternel, de faire semblant et au fond d’en être victime. Je n’ai pas trouvé d’issue, il n’y en a pas. Surtout quand l’amour est l’argument majeur.

L’Assommoir, Émile Zola
Lire L’Assommoir, c’est visiter les entrailles de la misère. La grande visite ! Il y a là quelque chose de plus politique, de plus mûr. L’idée politique vient cogner sur le mur de la fatalité : il faut organiser le monde pour combattre l’injustice sociale. L’Assommoir, c’est l’idée d’une solution, du combat. Quand je le lis, j’ai 20 ou 22 ans. Je construis l’espoir. À cet âge, on croit qu’on peut changer le monde. Aujourd’hui, l’ironie, le cynisme remplace la ferveur politique. À un moment, ou bien tu pètes les plombs parce que le monde n’évolue pas, ou bien tu trouves une issue qui te permet de garder tes valeurs, et tu trouves des palliatifs à la désespérance.

Les Misérables, Victor Hugo
L’idée politique est un peu la même que chez Zola, sauf qu’en le lisant, je m’étais rendu compte que c’était un polar. Toute la jouissance de cette lecture, c’est qu’il pose un suspense, on est dans quelque chose de haletant. Victor Hugo est peut-être le père du genre, on ne le dit pas assez. Après ça, j’ai un peu lu Simenon. Je ne m’y suis pas attardé, car en matière de lecture, je cherche des trajectoires identitaires, transclasses. Parce que ça parle de moi, et que je me cherche. Je ne suis pas très ouvert d’un point de vue littéraire. Je ne suis pas un gros lecteur. Quand j’aborde un livre qui ne me parle pas, je le ferme.

L’Art de perdre, Alice Zeniter
Ce livre raconte l’histoire d’une famille algérienne qui démarre au début du XXe siècle dans une montagne kabyle et fini dans les années 1990 : on a trois générations, de l’obscurité à l’absolue réussite d’Alice, qui a fait les plus grandes écoles en France. À 30 ans, elle me raconte ce que je ne savais pas à 60. Il faut une capacité de recherche, de concentration énorme pour bâtir comme ça un siècle d’histoire. Techniquement, elle a une expertise littéraire que je n’ai pas. Moi je suis un cantonnier littéraire, je puise ma matière dans les poubelles. Alice Zeniter a en sa possession un restaurant gastronomique : elle a une maîtrise de la grammaire, de la syntaxe qui lui permet de constituer des phrases qui disent exactement ce qu’elle veut. Il y a ceux qui ont du talent et ceux qui n’en ont pas… Le plus douloureux, c’est quand on n’aime pas : entre gens de bonne compagnie, ça ne se dit pas. Alors on dit « c’est sympa ». Ça m’a lacéré toute ma vie, ce mot. Après, avec Ma Part de Gaulois, j’ai été en lice pour le Goncourt : là j’ai un peu arrêté de m’en faire.

Une vie, Guy de Maupassant
Une vie, c’est le romantisme échevelé de nos 20 ans, quand on a l’ambition d’aimer grandement, quand on se dit : je vais porter une histoire d’amour exemplaire. Et la désillusion qui va avec. Les premières fois avec ma femme, je lui ai offert des fleurs. Elle m’a dit : t’as quelque chose à te reprocher ? Offrir des fleurs, ou des bijoux, c’est aussi mal aimer, ou ne pas aimer. Il faut s’offrir soi. Le vrai amour, c’est un dénuement, c’est un don. Comme il y a plein de saletés en soi, c’est difficile.

Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme, Stefen Zweig
Là, c’est la transgression, une chose qui m’est absolument chère. Je cherche en permanence des choses à transgresser. Zweig raconte l’histoire d’une femme bourgeoise qui a une vie confortable, des enfants et un mari aimant, et pourtant lâche tout pour partir avec un homme. En vingt-quatre heures, le rêve se détruit. Ce livre nous dit qu’on ne peut pas se satisfaire d’un homme ou d’une femme aimante. Il faut transgresser l’ordre établi, fusse-t-il son bonheur. Je ne dis pas que je passe à l’acte, mais l’idée m’est incontournable.

Propos recueillis par Sarah Jourdren
Photo : Polo Garat

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Publié par Rédaction de Ramdam


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