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Rachid Ouramdane : "La quête d'un point d'équilibre"

Du 23 au 24 juin 2021

Montpellier
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En activité depuis le début des années 1990, d’abord comme interprète puis comme chorégraphe, Rachid Ouramdane compte parmi les figures majeures de la danse contemporaine en France. Il dévoile au public sa nouvelle création, Corps extrêmes, en ouverture de la 41e édition de Montpellier Danse. Nommé tout récemment directeur du Théâtre National de Chaillot, il présente également à Ramdam les grands axes de son projet pour cette prestigieuse institution et livre sa vision d’un avenir placé sous l’ombre de la pandémie de Covid-19.

Corps extrêmes exprime un désir d’envol, de suspension ou de mise en apesanteur à travers des états-limites de corps qui s’inspirent de sports extrêmes ou de pratiques acroba- tico-artistiques. Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
Toute ma recherche chorégraphique est sous-tendue par le désir de saisir ce qui se révèle à travers les gestes et les mouve- ments de certaines personnes. Ce désir se manifeste plus encore lorsque je travaille avec des interprètes qui ne sont pas artistes. Depuis plusieurs années, je vois évoluer autour de moi des personnes adeptes de pratiques sportives dites extrêmes. Leurs motivations m’intéressent bien plus que leurs prouesses physiques. En les écoutant parler, la quête d’un point d’équilibre m’apparaît essentielle dans leur pratique, au-delà du dépassement de soi ou du jeu avec le danger. Ces personnes entretiennent un rapport hors du commun avec leur corps et parviennent à se mettre dans des états très particuliers – ce qui leur permet de réaliser des actions périlleuses, le plus souvent dans des sites naturels très difficiles d’accès, sans éprouver de peur. Surtout, elles développent une présence sensible aiguë au monde. J’ai eu envie de partager avec les spectateurs cette hyper sensibilité qui, derrière la virtuosité de ce qui est exécuté, peut se percevoir dans les sports extrêmes et certaines pratiques acrobatiques. À mes yeux, la danse consiste précisément à traduire la sensibilité à l’espace qui entoure les corps.

Quelle forme adopte la pièce ?
Le principal élément scénique consiste en une grande falaise sur laquelle gravitent les dix interprètes. S’y ajoutent divers paysages et environnements naturels qui apparaissent via des films réalisés in situ (par Jean-Camille Goimard). Un montage sonore de témoignages recueillis en amont complète le dispositif et apporte une dimension plus intime, introspective, à l’ensemble. La pièce évolue ainsi sur une ligne d’attention de l’environnement aux individus. Deux des interprètes pratiquent des sports extrêmes : Nathan Paulin, highliner de haut vol (célèbre pour ses grandes traversées sur un fil en milieu naturel), et Nina Caprez, figure féminine de référence dans le domaine de l’escalade. Les huit autres sont des acrobates et voltigeurs ou voltigeuses d’exception. Tous et toutes sont capables de produire des gestes hors normes et de susciter des connexions intenses avec leurs partenaires.

En parallèle de Corps extrêmes, vous investissez des sites naturels, en France ou ailleurs, avec la même équipe artistique pour y déployer des créations à géométrie variable, sous l’intitulé Les Traceurs.
Depuis des années, j’essaie d’amener la danse là où on ne l’attend pas. L’écriture chorégraphique en extérieur – a fortiori dans de vastes espaces naturels – est différente de l’écriture chorégraphique au sein d’une salle de spectacle. Les Traceurs et Corps extrêmes constituent deux versions à la fois distinctes et complémentaires d’un même projet – la version in situ (Les Traceurs) étant a priori la plus évolutive, chaque fois réadaptée. Les représentations de Corps extrêmes dans le cadre de Montpellier Danse ont pour par- ticularité d’investir un espace hybride : le Théâtre de l’Agora, une scène à ciel ouvert et au cœur de la ville.

Après avoir codirigé le CCN de Grenoble durant cinq ans, vous assumez depuis début avril la direction du Théâtre National de Chaillot. Que souhaitez-vous y mettre en place ou y impulser ?
Mon projet pour Chaillot se fonde principalement sur la notion de diversité et sur la volonté de mettre l’art en partage avec le plus grand nombre. Selon moi, tout directeur d’établissement théâtral se doit d’être attentif à l’idée de démocratisation culturelle. À cette idée, déjà portée précédemment par d’autres, Jean Vilar et Antoine Vitez en particulier, il importe de toujours donner de nouvelles formes. Aujourd’hui, je crois qu’il faut s’attacher à inventer des chemins différents. Nous devons proposer des pratiques, des manifestations, des pièces qui nous permettent d’éprouver pleinement toute la diversité de la société : non seulement la diversité des cultures mais également la diversité des genres, des esthétiques ou des imaginaires. Par conséquent, j’aspire à proposer l’offre la plus diverse possible, bien au-delà d’une simple offre de spectacles, et ainsi multiplier les formes de rencontre avec l’expression chorégraphique – dans et hors les murs. La danse doit déborder de la salle pour mieux se confronter à la société et se réinventer à son contact.

Votre arrivée à Chaillot s’effectue dans un contexte particulièrement éprouvant pour le spectacle vivant, du fait des restrictions sanitaires imposées par la pandémie de Covid-19. Comment envisagez-vous le fonctionnement du lieu dans l’avenir proche, notamment quant à la possibilité d’interventions dans l’espace public ?
Du fait des attentats terroristes en particulier, l’espace social est de plus en plus réduit et réglementé depuis quelques années. La crise sanitaire accentue encore ce phénomène, qui s’accompagne d’une tentation ou d’un risque de repli sur soi. Tout cela nous fait prendre conscience de la fragilité de la société. Je vais voir comment Chaillot peut aller sur ce terrain-là... Déjà, le lieu en lui-même, monumental et riche d’espaces très variés, m’apparaît propice à de multiples expériences. Ensuite, aux abords immédiats du bâtiment, ou ailleurs dans la ville, se trouvent aussi des endroits à explorer. J’aimerais également inscrire la danse dans des temps différents. Que l’on vienne à Chaillot non pas – ou pas seulement – pour voir un spectacle particulier à une heure précise mais pour vivre des expériences chorégraphiques de natures diverses (spectacles, performances, conférences, ateliers, moments de convivialité, etc...) dans une temporalité plus large. La pandémie entraîne de nouvelles modalités d’échange avec le public. Certaines s’instaurent déjà, d’autres restent à inventer, en ne subissant pas les contraintes (notamment la distanciation physique) mais en cherchant plutôt à les sublimer. Nous continuons à travailler, à concevoir des créations et des propositions, avec l’espoir de retrouver très bientôt le public.

Propos recueillis par Jérôme Provençal
Corps extrêmes, les 23 et 24 juin dans le cadre de Montpellier Danse.

Photo : Géraldine Aresteanu

Site web : https://www.montpellierdanse.com

Publié par Rédaction de Ramdam


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