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Sylvie Corroler–Talairach : "L'art contemporain nous parle de nous"

Du 19 janvier au 19 mars 2023

Toulouse
Fondation Espace Écureuil pour l'Art Contemporain

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Généreux, poétique, inspirant… pendant presque 20 ans à la Fondation Espace Ecureuil à Toulouse, l’art contemporain s’est offert au public sous son profil le plus désirable.
Suite à l’annonce de la fermeture de la galerie en mars prochain par son mécène la Caisse d’Épargne de Midi-Pyrénées, nous avons voulu donner la parole à celle qui a su faire de ce lieu, pour des milliers de visiteurs, un espace incontournable d’expression et de découverte, et un refuge pour l’imaginaire. Sylvie Corroler – Talairach, directrice de la Fondation, est notre invitée.

D’où vient votre goût pour l’art contemporain, et quel chemin vous a mené jusqu’à la Fondation Ecureuil ?

J’ai fait des études d’histoire de l’art. J’aimais l’art mais la dimension physique me manquait, je voulais être dans le concret, rencontrer des artistes, être dans une pratique vivante. La création contemporaine s’est imposée d’elle-même. J’ai démarré ma carrière professionnelle dans une association de photographie contemporaine qui venait de se doter d’un lieu à Lorient. C’était la fin des années 80, une époque marquée par une politique volontariste de décentralisation de l’art, il y avait un fort emballement autour de la pratique contemporaine.
De son côté, la galerie Espace Écureuil a été créée en 1994, ici même à Toulouse, elle était alors gérée par le service communication de la Caisse d’Épargne Midi-Pyrénées. Je suis arrivée en 2004, au moment où la galerie est devenue fondation d’entreprise, et où la nécessité de professionnaliser l’équipe dirigeante du lieu s’est imposée.

Comment percevez-vous le fait qu’un jour, une grande entreprise régionale a fait le choix de soutenir l’art contemporain ?

La galerie initiale a été créée parce que l’équipe dirigeante de la Caisse d’Épargne Midi-Pyrénées affichait une appétence sincère pour le milieu artistique, la rencontre avec les artistes, et il y avait bien sûr une grande satisfaction à voir le monde que généraient les vernissages, l’importance du travail accompli avec les scolaires… Le lieu apportait une image valorisante de l’entreprise, c’était une belle vitrine place du Capitole, aussi utilisée comme un lieu de représentation, où se tenaient des petits-déjeuners d’affaire, etc. La fondation d’entreprise est née du désir de pérenniser cette action.

De manière générale, quelle réflexion vous inspire le mécénat d’entreprise ?

J’ai commencé à travailler à la fin des années 80 sous Jack Lang, qui défendait une politique de décentralisation et démocratisation de la création contemporaine, avec l’argent qui allait avec. Les lois sur le mécénat d’entreprise sont apparues en même temps que le désengagement progressif de l’Etat, avec une politique d’incitation des entreprises à s’engager en faveur de la création contemporaine. Mais pourquoi pas ? Le mécénat est une forme de redistribution des gains, il permet aux entreprises d’endosser leur responsabilité sociétale et de retrouver un rôle au sein de leur territoire.

La Fondation Écureuil se distingue entre autres par une place importante accordée à la médiation. Est-ce la clé de la démocratisation de l’art contemporain ?

Complètement. Je m’en suis rendu compte très vite. Lorsque j’ai débuté à Lorient, nous pensions naïvement que la décentralisation allait tout d’un coup rendre l’art contemporain accessible à tous. En réalité, pas du tout ! C’est à ce moment que l’on a commencé à inventer la médiation, bien avant qu’elle ne devienne un métier à part entière. Ce qui me semble important, c’est de rendre les gens autonomes, les amener à appréhender l’art par eux-mêmes, et certainement pas leur expliciter ce qu’il y a sur les murs. À la fondation Écureuil, nous multiplions les outils et les angles d’approche. Pour chaque exposition, nous réalisons une rencontre avec l’artiste via une vidéo, qui permet au public d’entendre sa voix, voir le lieu où il travaille, comment il travaille, parfois connaître ses lectures préférées. Et puis il y a les outils propres à chaque exposition, pensés spécialement pour l’œuvre montrée. L’idée est de mettre les choses en relation entre elles, comme chacun le fait naturellement dans sa tête lorsqu’il regarde une œuvre.

Les visiteurs se souviendront longtemps des expositions participatives organisées ici, à la Fondation. Que nous dit le succès de ce format original sur notre rapport à l’art contemporain ?

L’idée de faire participer le public est venue face à certaines réactions récurrentes, du type « Je n’y comprends rien ! ». Je ne crois pas à la séparation artistes / public. L’art contemporain nous parle de nous, aujourd’hui. En sollicitant le public, l’idée était de faire ensemble, d’envisager la pratique de manière plus horizontale. Avec « Ma vie avec toi », « Va dans ta chambre ! » ou « Circulez, il n’y a rien à voir », nous avons voulu donner la parole au public en l’invitant à mettre des mots sur des œuvres, permettre à chacun de prendre conscience de sa proximité avec l’art, et rendre tout cela visible par le biais d’expositions. Grâce à elles, le lieu est aussi devenu celui du public. Cela explique peut-être en partie l’émotion que suscite la fermeture de la Fondation…

Pouvez-vous nous parler de la dernière exposition de la Fondation ?

C’est une exposition à laquelle je pense depuis longtemps, l’idée étant de mettre en avant l’odorat, un sens que nous éduquons peu. Par exemple, nous ne savons pas mettre des mots sur les odeurs. Dans mon exposition idéale, il n’y aurait pas de matérialité, seulement des odeurs, mais cela aurait demandé beaucoup de temps à mettre en place. J’ai confié le commissariat à Sandra Barré, qui a fait une thèse sur l’odorat dans l’art contemporain. Hormis deux ou trois œuvres purement olfactives, l’exposition repose sur des œuvres qui ont une matérialité, elles sont polysensorielles : on les voit et on les sent.

Que vous inspire la fermeture du lieu ?

J’ai commencé ma carrière à une époque où l’art contemporain relevait d’une responsabilité civique, publique. Nous assistons depuis à une forme de recul, qui dit aussi des choses sur la société dans laquelle on vit. Mais il n’y a pas de destruction sans reconstruction. Comme nous l’avons fait avec la médiation, on invente avec le système dont on hérite. Et aujourd’hui, il y a beaucoup de formes à inventer pour reconquérir la place perdue de l’art et de la culture dans notre société.

Propos recueillis par Maëva Robert

Horizons Olfactifs, du 19 janvier au 19 mars. Fondation Écureuil, Toulouse.

Publié par Rédaction de Ramdam


Fondation Espace Écureuil pour l'Art Contemporain, Toulouse

Espaces culturels

3 Pl. du Capitole, 31000 Toulouse
31000 Toulouse

Tél : 05 62 30 23 30