Classique

Agnès Jaoui : "Don Giovanni nous emporte"

Du 20 au 30 novembre

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Le Théâtre du Capitole n’a décidément pas fait les choses à moitié en confiant la mise en scène de ce Don Giovanni, blockbuster mozartien et chef d’œuvre absolu, à Agnès Jaoui, flanquée du jeune chef Riccardo Bisatti, en remplacement de Tarmo Peltokovski à la direction de l’Orchestre.

La création de Don Giovanni au Théâtre du Capitole n’est pas pour autant votre première mise en scène d’opéra. Quelle place prend l’art lyrique dans votre vie ?
Une place essentielle. Ça m’a sauvé la vie. J’ai fait un conservatoire d’art lyrique, je chante depuis vingt ans dans un ensemble vocal, Canto Allegre, mon dernier film, Au temps pour nous, a pour décor les répétitions des Noces de Figaro et effectivement j’ai récemment mis en scène La Tosca et L’Uomo femina. L’opéra fait partie de ma vie depuis toujours.

Vous dites qu’il vous a sauvé la vie, c’est-à-dire ?
En commençant le théâtre, à 14 ans, j’étais pleine de doutes, j’avais l’impression que pour être comédienne, il fallait être jolie, mince, il fallait séduire. Les castings, c’était assez horrible, humiliant, inhumain. Quand je suis arrivée au conservatoire de chant à 17 ans, que j’ai vu des physiques de toutes sortes sortir des sons incroyables, j’ai eu l’impression de respirer à nouveau. Ici, on doit commencer par apprendre. On ne peut pas aller plus vite que la musique : une inconnue de 12 ans qu’on repère dans la rue et qui excite les réalisateurs, ça n’existe pas à l’opéra. Cet univers me nourrit. Chanter, c’est respirer, c’est se poser. C’est un état forcément apaisé, qui est proche de la méditation. On ne peut pas être complètement névrosé, drogué, alcoolisé, on est là tout entier. On est obligés d’être sains, et d’une certaine façon, en paix. On ne peut pas tricher. Et si on triche, la voix casse. C’est un exercice de vérité face au public, face à soi-même. Et ça, ça m’a sauvée. Comme si je n’avais jusque-là que des amitiés superficielles, et que tout à coup, je trouvais l’amour.

Pourquoi votre choix s’est-il porté sur Don Giovanni, cet opéra qui est l’un des plus joués au monde ?
J’aime beaucoup le fait qu’on me propose des choses, et c’est Christophe Ghristi qui m’a proposé Don Giovanni. Et Don Giovanni, ça ne se refuse pas. C’est un privilège, une expérience que je recommande à tous, de vivre un an avec Mozart. Avec une grande langue, une grande musicalité, qui procurent des émotions pour la vie entière. Vivre dans ce pays, l’aimer, ça ne se refuse pas. Alors après, évidemment, vient le doute, face à un opéra qui été joué un milliard de fois.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette figure mythique : est-ce un héros subversif qui transgresse toutes les règles ou un prédateur ?
Les deux. C’est un prédateur, oui, un chercheur permanent de sensations. C’est un ogre, insatisfait, qui cherche la mort. Pour moi c’est un long suicide, il cherche les limites que personne ne lui met. Et on reste fasciné par son appétit.

Mettre en scène Don Giovanni aujourd’hui, est-ce se faire le témoin de ce renversement auquel on assiste justement, qui va de la fascination pour ce personnage au refus actuel de cette domination qu’il exerce sur les femmes ?
Oui, mais pardonnez-moi de penser que ce n’est pas fini. C’est dans la nature humaine : il y a quelque chose de fascinant à regarder quelqu’un qui est au-dessus des lois. En cela il a une sorte de courage, on ne peut pas lui enlever ça. Il est horrible, je ne pourrais pas le sauver, et encore moins effectivement aujourd’hui. Mais au fond, on sent bien que ce n’est pas ça qui l’intéresse, vouloir séduire : pour moi c’est un drogué plus qu’un jouisseur. Il veut tout ce qu’il ne peut pas avoir, par frénésie.

Contrairement à Macha Makeïef qui transpose son récent Dom Juan dans l’ambiance libertine du XVIIIe siècle, vous maintenez la Séville du XVIe, pourquoi ?
J’ai l’impression que cette Espagne très religieuse, que le poids des normes, du corps qui est étouffé participent à la fascination. Ce qui fascine, c’est qu’il explose tout ça. Et puis, les classes sociales sont extrêmement importantes dans cet opéra : c’est une époque où on fait ce qu’on veut d’une paysanne ou d’une servante.

Comment envisagez-vous les personnages féminins face à cet ogre ?
Ils sont fascinants. Zerline est dingue je trouve, c’est un personnage d’une grande richesse, d’une grande complexité. Anna est plus ambigüe, et quant à Elvire, c’est un personnage très émouvant, même s’il y a presque quelque chose de comique dans son obsession, dans sa volonté de sauver l’autre, qui est très touchante, et en même temps presque agaçante parce qu’aveugle. Je travaille actuellement avec les interprètes pour construire les personnages avec eux, selon leurs personnalités. J’ai des idées, des intuitions mais pas de certitudes. Je pars de la logique du texte, de façon très concrète.

Passage obligé de Don Giovanni, l’incursion du surnaturel : comment allez-vous vous tirer de cette affaire-là ?
C’est pas du tout évident. Je consulte tous mes amis chanteurs, dramaturges, psy ! Je n’ai pas encore la réponse… J’ai l’impression que Don Giovanni cherche la punition, comme les enfants. Pour l’instant j’essaie de rester concrète, même face à cette statue du commandeur. Est-ce que c’est sa peur ? son surmoi ? Je ne sais pas encore… je vais trouver !

Votre œil de comédienne, de réalisatrice, change-t-il le travail que vous entreprenez avec les chanteurs ?
Oui, ça change tout. Beaucoup d’entre eux me disent qu’ils ne sont pas comédiens, mais je trouve qu’ils sont évidemment très comédiens. Ce que je leur dis, c’est que je veux comprendre ce qu’il se passe en les regardant. Face à de grands acteurs, de grandes actrices, vous devenez intelligents, vous comprenez une situation, une histoire. Dès qu’on ne comprend pas, même si la voix est belle, on s’ennuie. C’est ça qui m’importe : être dans la psychologie des personnages, comprendre. Même si l’ennui, c’est aussi tout d’un coup une émotion : on n’est pas dans du Netflix. Moi je m’ennuie quand il y a des courses-poursuites, des voitures, des cascades, quand ça va vite. Là, il n’y a aucune raison de s’ennuyer, musicalement c’est une splendeur de bout en bout, il n’y a pas un vers faible. Don Giovanni nous emporte.

Propos recueillis par Virginie Peytavi

Du 20 au 30 novembre, Théâtre du Capitole, Toulouse.
Du 24 au31 mai, Opéra Berlioz, Montpellier.

Photo : Carole Mathieu Castelli - Baboo Music

Publié par Rédaction de Ramdam


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