Festival
Alain Guiraudie : " Explorer les incertitudes du monde actuel "
On a cru qu’Alain Guiraudie était un cinéaste et un écrivain du monde rural. En lui confiant les rênes de sa deuxième édition, le Nouveau Printemps nous apprend qu’il est en fait un chroniqueur de l’ordinaire, et donc que la ville l’inspire aussi. Pas franchement expert en création contemporaine mais sensible à la poétique des territoires, il accepte le rôle d’artiste invité et propose au cœur du quartier toulousain des Carmes-Saint-Etienne, un parcours de création qui introduit le mythe dans le quotidien de la cité et questionne le devenir de l’Humanité.
Quel rapport entretenez-vous avec l’art contemporain ?
Mon rapport à l’art contemporain est celui de pas mal de gens, je crois. Parfois ça ne me parle pas, parfois je trouve ça super. Je m’y intéresse en tout cas. Ça fait un certain temps que j’ai la curiosité d’aller vers ce monde-là, même si mes connaissances se limitent aux stars de l’art contemporain et que je serais bien en peine de faire la critique d’une œuvre ! L’invitation du Nouveau Printemps est arrivée à un moment où j’exposais mes propres photos, j’étais plus ou moins plongé là-dedans, c’était le bon moment.
Comment avez-vous accueilli la proposition ?
Agréablement. Bien sûr, je me suis senti honoré. Mais de par mon statut de non-spécialiste, ça m’a un peu foutu la trouille. Ça n’est pas rien comme proposition ! Je me suis demandé si j’en serai capable, je me questionnais sur ma légitimité. Anne-Laure Belloc, l’ancienne directrice du festival, et Eugénie Lefebvre, sa présidente, ont su me rassurer : avoir le regard de quelqu’un qui ne soit pas un expert, c’est précisément ce qui les intéressait ! J’ai aussi compris que je n’étais pas seul, que je serai épaulé dans cette tâche. Ça a fini par exciter ma curiosité, j’ai eu envie d’aller y voir de plus près.
Comment avez-vous abordé l’exercice ?
Mon rôle était de tracer une ligne éditoriale, proposer un thème, dessiner les contours de la programmation. J’avais déjà quelques artistes en tête, comme Neïl Beloufa, Pierre Pauze, Mimosa Echard, Tom de Pekin... D’emblée, je me suis dit qu’ils avaient leur place. Quelque part, ils ont aussi guidé la ligne. Partant de là, Anne-Laure Belloc m’a pas mal aiguillé, elle m’a renvoyé des idées, proposé des artistes. Ça s’est échafaudé comme ça.
Quel est justement l’esprit de cette édition ? Le fil qui relie l’ensemble des propositions ?
Je dois dire que je suis assez inquiet quant à l’avenir de l’Humanité. Très vite, j’ai eu envie d’explorer les incertitudes du monde actuel. Je voulais voir comment les artistes fantasment le futur, entre promesses et inquiétudes, utopie et dystopie, parce qu’il y a quand même des personnes plus optimistes que moi ! Au-delà de ce fil conducteur, tous en tout cas cherchent à fabriquer du beau avec du prosaïque : ça, ça me parle ! Inventer de nouvelles mythologies, élever notre quotidien, c’est aussi ce qui m’intéresse quand je fais un film ou un bouquin.
Vous dites avoir privilégié des artistes plutôt jeunes. Qu’attendez-vous d’eux ?
Ça n’était pas volontaire, plutôt un constat a posteriori. Ceci dit, je trouve important de se tourner vers la jeunesse : j’attends qu’elle nous surprenne, qu’elle nous montre le monde sous un angle inhabituel. Par exemple, Neïl Beloufa s’intéresse à l’intelligence artificielle et à la manière dont elle va assimiler mon langage pour produire une nouvelle œuvre. June Balthazard et Pierre Pauze créent des récits très complexes à partir de vraies théories scientifiques auxquelles le commun des mortels ne comprend rien. Dans l’ensemble, ce sont des artistes très au fait des innovations, à partir desquelles ils produisent des œuvres esthétiquement fortes. Et même quand Tony Regazzoni s’intéresse aux discothèques de campagne des années 80, ou que Karelle Ménine exhume les « sacs à procès » des Capitouls, ça dit quelque chose des vestiges de notre civilisation.
Vous, le cinéaste de la ruralité et des territoires à la marge, vous voilà dans les beaux quartiers toulousains. La poésie est-elle au rendez-vous ?
C’est vrai, je suis très attaché à la campagne, mais la ville m’intéresse aussi. J’habite Albi mais j’ai eu des périodes où j’étais beaucoup fourré à Toulouse, je connais bien le quartier des Carmes. Revenir là m’intéressait vachement. L’idée d’investir un espace du quotidien, un lieu de passage me plaît : les gens ne viennent pas là pour voir une exposition. J’aime bien le marché des Carmes, le parking surtout, avec cette modernité fanée des année 60. En revanche, je n’étais jamais entré dans le musée Paul-Dupuy ou le Monument à la gloire de la Résistance. C’est plaisant de découvrir un territoire. J’aurai aimé avoir plus de temps pour explorer le quartier, entrer dans les cours des hôtels particuliers…
Vous exposez à l’Hôtel de Bruée des photos dont vous êtes l’auteur. Que vous permet la photo que ne vous permet pas l’écriture ou le cinéma ?
La part documentaire. J’ai toujours eu des envies documentaires au cinéma mais je n’ai jamais été au bout : je ne sais pas pourquoi, c’est un format qui m’a toujours paru compliqué. Pour le coup, la photographie est pour moi un exercice très urbain. Ça me plait beaucoup de parcourir les villes, saisir des moments. J’aime le rapport direct au réel que cela induit, et toujours l’idée de mythifier le banal. Et puis un film impose sa temporalité. Une exposition, on la parcourt à son rythme.
Finalement, trouvez-vous des concordances entre votre pratique de cinéaste et celle de ces artistes contemporains ?
Pas des masses à vrai dire ! Mais toutes ces rencontres ont éveillé ma curiosité. Et puis quand même, nos pratiques respectives relèvent nécessairement d’une même démarche : emmener le prosaïque vers un idéal, rendre le trivial beau et poétique. On se rejoint dans la confrontation de l’idéal et du réel. Gustave Flaubert dit grosso modo : « Le plus haut dans l’art, ce n’est ni de faire rire, ni de faire pleurer, mais d’agir à la façon de la nature, c’est-à-dire de faire rêver. » Cette citation me plaît, elle exprime assez bien ma manière de voir les choses, et aussi je crois celle des artistes de cette édition.
Propos recueillis par Maëva Robert
Photo : DR
Publié par Rédaction de Ramdam
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