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Annabelle Ténèze : "L'oeuvre de Giacometti incarne l'essence de l'âme humaine"

Du 22 septembre 2023 au 21 janvier 2024

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Immense artiste du XXe siècle et infatigable explorateur de la figure humaine, Alberto Giacometti (1901 – 1966) est la star de la rentrée au musée des Abattoirs à Toulouse, à travers une exposition qui nous fait la promesse de nous montrer le sculpteur tel qu’on ne l’a jamais vu ailleurs. Annabelle Ténèze, directrice du musée et co-commissaire de l’exposition, éclaire les grands jalons de ce parcours, à la fois resserré dans le temps (1946 – 1966) et ouvert dans le propos, qui invite à regarder Giacometti à la lumière des contextes artistiques et intellectuels de son temps.

Comment l’idée de l’exposition a-t-elle pris forme ?
Nous nous intéressons depuis plusieurs années à la création des années 50 et 60, des années charnières artistiquement, culturellement, socialement, particulièrement bien représentées aux Abattoirs grâce à la collection Daniel Cordier, amateur d’art et ancien résistant dont la collection est en dépôt permanent aux Abattoirs. Nous en avons fait l’illustration à travers plusieurs projets monographiques liés à cette période, et encore récemment avec l’exposition de Liliana Porter qui s’est terminée en août. D’autre part, nous avons à cœur de montrer de grandes figures de l’art, comme précédemment Pablo Picasso ou Niki de Saint-Phalle. Giacometti est de ces grands artistes du XXe siècle, l’un des plus grands sculpteurs, actif dès les années 20. Pour la raison évoquée, nous avons choisi d’aborder son œuvre plus tardive, celle de l’après-guerre, de 1946 à sa mort en 1966, une période de sa vie particulièrement intéressante.

En quoi cette période est-elle significative du point de vue de sa production artistique ?
Giacometti a traversé plusieurs courants. Dans les années 30, il est le sculpteur surréaliste par excellence. Le mouvement rompt avec lui parce qu’il fait le choix de revenir vers le modèle. Dans les années 40 et 50, alors que les abstractions triomphent, il affirme son nouveau style tourné vers la figuration. Après-guerre, il réalise beaucoup de sculptures, dont l’Homme qui marche est certainement la plus emblématique, il se remet également à peindre de manière intensive. Son œuvre incarne l’essence de l’âme humaine, elle touche les gens. C’est une période riche, durant laquelle il participe à des expositions majeures et côtoie les milieux artistiques et intellectuels.

Le titre de l’exposition « Le temps de Giacometti » ouvre en effet le propos sur une perspective plus large, qui va au-delà de la pure pratique artistique.
Giacometti a souvent été associé à l’image d’un artiste solitaire. Il a beaucoup été photographié seul dans le même petit atelier de 24 m2 qu’il a occupé des années 20 jusqu’à sa mort. Dans les années d’après-guerre, il fréquente au contraire beaucoup d’artistes, de philosophes, d’écrivains. Jean Genêt, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir… écrivent sur lui. Il est photographié par des photographes talentueux de différentes génération, Henri Cartier-Bresson, Sabine Weiss… et son travail est regardé par un très large public. Il participe à la Biennale de Venise, à la documenta de Cassel. Il réalise lui-même la scénographie de certaines de ses expositions, choisit la manière dont il veut montrer ses œuvres, comme à la galerie Maeght en 1951. Giacometti est un homme de son temps. Nous nous sommes intéressés à l’impact qu’il a eu sur ses contemporains, à la façon dont son travail est perçu.

Le parcours rassemble une centaine d’œuvres, et est enrichi de documents d’archives… Parlez-nous de quelques pièces emblématiques.
L’Homme qui marche est certainement la plus connue, mais on peut citer La Femme au chariot, Le Chariot, Les Femmes de Venise (montrées à la Biennale de Venise en 1956), beaucoup de bustes, dont un petit buste de Simone de Beauvoir, des portrait peints, représentant notamment Annette son épouse. Giacometti était un grand lecteur, de théâtre en particulier. On montre les revues qu’il lit, sur lesquelles il a dessiné à-même les pages. Il a exécuté de magnifiques dessins, très peu montrés, sur la revue Les temps modernes, créée par Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Ce sont des archives – œuvres. L’exposition a été réalisée de concert avec la Fondation Giacometti, et sa directrice scientifique Émilie Bouvard. La particularité de la Fondation est de conserver la collection léguée par Annette Giacometti, des œuvres que l’artiste a gardées avec lui toute sa vie.

Comment est bâti le parcours ?
Il se déploie sur tout le rez-de-chaussée du musée, en suivant un parcours relativement chronologique, avec des salles thématiques : l’atelier, la peinture, l’existentialisme… Chaque salle a une identité forte, et est illustrée par l’extrait d’un texte d’époque qui lui est consacré. L’une des salles reconstitue l’exposition de 1951 à la Galerie Maeght : elle rassemble des œuvres exposées à cette occasion et des photographies de l’exposition, ainsi que la reconstitution d’après photos des socles de ses œuvres, dessinés par lui. Une autre salle évoque son amitié avec Samuel Beckett, à travers le décor qu’il a réalisé pour la pièce de théâtre En attendant Godot. Il y est aussi question de ses relations avec le philosophe japonais Isaku Yanaihara, qui a beaucoup posé pour lui. Œuvres, photos, films, documents d’archive permettent de regarder Giacometti tel qu’il était regardé par ses contemporains.

Que permet ce format d’exposition que ne permet pas une rétrospective globale ?
Aux Abattoirs, nous nous efforçons de montrer des artistes connus, ou qui méritent de l’être, en cherchant à offrir au public un point de vue différent : Picasso sous l’angle de l’exil espagnol, Niki de Saint-Phalle à travers sa production des années 80 et 90 et ses engagements... Proposer au public de voir quelque chose qu’il n’a jamais vu ailleurs, aborder un artiste tel qu’il n’a jamais été abordé, voilà notre but et nous espérons que cela plaît à nos visiteurs et visiteuses.

Propos recueillis par Maëva Robert

Photo : P. Nin

Le temps de Giacometti (1946 – 1966). 22 septembre 2023 – 21 janvier 2024. Les Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse

Site web : https://www.lesabattoirs.org

Publié par Rédaction de Ramdam


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