Danse

Pierre Rigal : "Hors-sujet"

Du 7 novembre au 17 décembre 2023


Occitanie

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La compagnie Dernière Minute du Toulousain Pierre Rigal a 20 ans. Pour marquer le coup, le chorégraphe donne jusqu’en décembre une série de représentations, entre morceaux de bravoure des débuts (Érection, 2003) et re-créations récentes (Asphalte 2.0, 2022). Une auto-rétrospective en forme de bilan artistique pour cet artiste à part, qui cultive son corps, sa naïveté, et l’art d’être hors-sujet.

Qu’avez-vous appris de plus précieux en 20 ans ?
L’inimaginable capacité d’adaptation du corps. En créant mon premier spectacle à 30 ans, je n’envisageais pas une seconde que je le jouerais encore à 50. Je venais du sport. J’avais dans l’idée que la danse se commence jeune et s’arrête tôt. J’étais certain qu’elle serait une parenthèse dans ma vie. Que mon corps atteindrait vite ses limites. Je joue pourtant toujours Érection et Press, des spectacles exigeants qui réclament beaucoup de force et d’endurance.

Sont-ils rigoureusement les mêmes qu’à leur création ?
Je n’ai rien changé. C’est le corps qui s’est adapté. Il a intégré naturellement les mouvements comme s’il les faisait siens, comme s’il trouvait tout seul une façon moins brutale, plus subtile, de les exécuter.

Tout seul ?
À force d’entraînements et du fait du rythme soutenu des spectacles - il m’est arrivé de danser plus de 100 fois en représentation dans une seule année au début des années 2010 - , on finit par apprendre de façon empirique, et le corps fait le reste. Jouer en public, c’est un apprentissage à long terme.

Le public de la danse contemporaine a-t-il changé en 20 ans ?
J’ai l’impression qu’il est resté le même. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il n’aime pas voir ce qu’il a déjà vu. Il cherche l’expérience, le développement, l’invention. Il sait qu’il n’aimera pas tout ce qu’il ira voir, mais il ira quand même, par goût de la nouveauté et du risque.

En parcourant la liste de vos créations, on est frappé par la diversité des formes, des sources, et des domaines explorés. Sport, cirque, hip-hop, ballet, opéra. On voit parfaitement ce qui les distingue les uns des autres, mais ont-ils quelque chose en commun ?
Ce ne sont pas tant les domaines qui m’intéressent que les individus. Les danseurs contemporains, classiques, hip-hop, les chanteurs lyriques, les musiciens rock, les circassiens. Et pour cela, je me fie aux rencontres. Olivier Meyer à Suresnes ou Brigitte Lefèvre à l’Opéra de Paris ont logiquement fait naître chez moi des désirs et des projets artistiques différents. Toutefois, avec le recul, je m’aperçois que ces pièces se ressemblent plus que je ne pouvais le croire. J’y aperçois même un fil conducteur presque inconscient.

À quoi ce fil vous relie-t-il ?
Au sport. Au fait que je ne crée pas des mouvements pour leur beauté mais pour leur efficacité. Un sportif fait un mouvement pour se libérer d’une contrainte, pour résoudre une problématique. J’en fais de même avec la danse et la mise en scène. Érection, c’est un homme couché qui doit se lever. Il essaie, commet des erreurs, essaie encore, explore la mécanique du corps. Dans Press, je cherche comment le corps peut se mouvoir et s’installer dans un espace qui se réduit de plus en plus. Voilà sans doute le fil conducteur : chercher à résoudre un problème plutôt qu’à créer de la beauté.

L’efficace est-il inesthétique par définition ?
Non, et c’est tout l’intérêt du geste sportif. Plus il est efficace, plus il est beau. C’est Fosbury qui saute pour la première fois dos à la barre. C’est un basketteur qui passe ses bras sous les bras d’un autre pour marquer. Ce sont ces mouvements qui visent à l’efficacité et font appel au génie, au talent, au travail, et finissent par créer de la poésie. Je fais confiance au corps, pour qu’en cherchant à résoudre un problème par le mouvement, il crée une forme de poésie.

Cette poésie induite et involontaire s’apparente à celle de l’enfant, dont vous vous réclamez depuis Arrêts de Jeu…
J’ai la mélancolie de cette capacité que nous avons, enfant, à nous abstraire de la réalité pour jouer. Pour un enfant, un coussin est un mur, et quatre coussins une cabane. Ce n’est rien d’autre que de la poésie. J’essaie de réagir de la même manière quand je travaille un format, une thématique. Je me dis « Imaginons que je ne connaisse rien à ce format. Quelle est la topologie, la définition intrinsèque ou ontologique de ce format ? Qu’est- ce que c’est qu’un opéra ?, un ballet, le hip-hop ? ». Je cultive cette forme de naïveté.

Dans quel but ?
Pour poser des questions auxquelles un spécialiste n’aurait pas pensé. Des questions qu’il aurait même eu honte de se poser. En procédant de la sorte on découvre les codes, on les remet en question, on les analyse, on les détourne, on joue avec, on rend hommage, aussi.

Au risque, parfois, de décevoir les puristes ?
Ça ne me fait pas peur. Je ne viens pas du sérail. Mes spectacles sont toujours un peu hors-sujet. Cette hétérogénéité me permet de franchir les frontières des chapelles esthétiques, et donc de me produire dans toutes sortes de salles. Jouer à Toulouse au Sorano, au Garonne, à Odyssud. Jouer à Paris, où les chapelles sont nombreuses. Au Théâtre de la Ville, à Chaillot, à l’Opéra Garnier et à l’Opera Bastille, aux Bouffes du Nord au musée Picasso, à l’International Visual Theatre d’Emmanuelle Laborit qui s’adresse aux sourds et malentendants, au Rond-Point, ou encore au 104, qui est un peu plus arty. Je cultive cette façon de créer, parce que j’adore passer d’une salle ou d’une esthétique à l’autre.

Inscrire vos créations dans cette succession de disciplines et de formats différents ne vous empêche-t-il pas d’aller au fond des choses, d’un genre, d’un propos, et d’en épuiser les possibilités ?
J’y réfléchis pour mon nouveau projet : Ronde. La ronde est un sujet infini. Ce serait intéressant de le creuser en détail jusqu’à l’épuiser. Épuiser un sujet… c’est peut-être ce que vais essayer de faire dans les vingt prochaines années.

Propos recueillis par Sébastien Vaissière

Érection, du 5 au 8 décembre, Théâtre de la Cité, avec la Place de la Danse CDCN Toulouse Occitanie
Public, du 9 au 10 et les 16 et 17 décembre, conservatoire de Blagnac, avec Odyssud

Photo : M. Chartreux

Publié par Rédaction de Ramdam


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